martes, 3 de junio de 2008

LE COURRIER: CÉCILE RAIMBEAU.

Artículo sobre menores no acompañados, de CÉCILE RAIMBEAU:

http://www.lecourrier.ch/index.php?name=NewsPaper&file=article&sid=439512

REPORTAGE - Au Maghreb, on les appelle «harraga», des «brûleurs» de frontières, ceux qui parviennent à traverser la Méditerranée. En tant que mineurs étrangers «isolés» ou «non accompagnés», ils sont protégés par les conventions internationales. Mais à Marseille, Barcelone ou Melilla, les autorités rechignent à les traiter comme des enfants en danger. Témoignages. Melilla, enclave espagnole sur la côte Nord-Est du Maroc. Au fond d'une crique jonchée d'ordures échouées, un jeune Marocain dessine les vagues de la Méditerranée. «J'essaie d'oublier mes problèmes», soupire-t-il. A marée haute, les embruns éclaboussent l'étroit goulet qui forme l'entrée de la caverne où il a établi domicile. Ce trou dans lequel il a casé un vieux matelas surplombe le niveau de la mer d'une dizaine de mètres seulement. Il doit escalader la falaise pour aller y dormir. La Guardia civil espagnole sait qu'il habite là, et l'administration de Melilla ne s'en émeut pas: elle l'a abandonné à la rue, sans papiers. Il raconte son histoire: «Je suis arrivé à Melilla à la nage, de nuit. J'ai nagé une demi-heure depuis le port voisin marocain. Il y avait un autre enfant avec moi, mais le pauvre est mort. Il ne nageait pas assez bien. Il avait 11 ans. Moi j'en avais 15.» Non expulsablesCet enfant troglodyte est un harraga, un «brûleur» de frontières, comme on appelle au Maghreb les adolescents qui errent des mois près des ports à la recherche d'un embarquement clandestin pour l'autre rive. Fuyant la misère, sans l'aval de leur famille ou parfois mandatés par leurs proches, ils rêvent d'un meilleur avenir en Europe. Beaucoup se sentaient une charge pour leur mère célibataire. D'autres ont fugué un parent maltraitant. Comme l'enfant de la crique, certains étaient en situation d'errance depuis des années dans leur pays. Quelle que soit l'aventure de leur douloureux exode, ces mineurs «non accompagnés» ne sont pas expulsables: ils sont protégés par la Convention internationale des droits de l'enfant. Qu'ils atterrissent à Melilla, en Espagne péninsulaire, en France ou ailleurs, l'Etat où ils sont repérés se doit de les mettre à l'abri des périls qui les guettent dans la rue: délinquance, drogue, traite ou prostitution. Il s'agit de les placer dans des foyers d'accueil, de leur proposer des soins et une éducation. Du moins, tant qu'une remise aux services sociaux du pays d'origine ou un retour dans leur famille respectant le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant ne sont pas garantis. TroglodytePlutôt que de risquer un naufrage en Méditerranée dans une barcasse, ce jeune nageur a préféré tenter sa chance sur ce bout d'Europe de vingt kilomètres carrés entouré de fils de fer barbelés. Une fois sauf, il s'est blotti dans la caverne. Il y a vécu un an, survivant de mendicité, avant d'être placé en foyer. «En 2006, je suis rentré au centre d'accueil, se souvient-il. J'y suis resté un an. J'ai été battu de nombreuses fois. Il y a trois mois, j'ai dû en partir et revenir dans la caverne, car ils disaient que j'avais 18 ans. Mais en vrai, j'ai 17 ans: quand je suis arrivé à Melilla, ils m'ont donné un an de plus.» Selon José Palazon, fondateur de l'association locale de défense des droits des enfants Prodein, le drame décrit par ce mineur est banal: «D'une part, la minorité est souvent mise en cause et vérifiée par un examen aléatoire: la radiographie du poignet gauche (lire encadré ci-contre à gauche). D'autre part, les mauvais traitements au foyer d'accueil La Purisima sont régulièrement dénoncés. Mais le personnel visé est toujours en place.» En mai 2002, un rapport alarmant de l'organisation Human Rights Watch1 avait dénoncé des coups et des mauvais traitements pratiqués à La Purisima. Aujourd'hui, la conseillère des services sociaux, Maria Antonia Garbin, reconnaît le problème de surpopulation: jusqu'à 190 enfants pour 160 places. Mais elle assure que ce fort miliaire transformé en foyer pour jeunes étrangers est devenu «un centre modèle sans aucun problèmes». Les témoignages d'autres enfants et leurs récentes dépositions démentent pourtant ces déclarations. C'est donc auprès de José Palazon que ces enfants viennent chercher de l'aide. A Melilla, la petite école de soutien scolaire que dirige cet enseignant généreux est devenue le repaire des harraga en détresse. Début mai, un garçon fébrile de 14 ans y passe quotidiennement chercher du réconfort. Il s'assoit dans une classe, le regard effrayé en répétant qu'il ne veut plus retourner au foyer. Depuis qu'il a participé à une plainte collective contre des éducateurs de La Purisima, ceux-ci l'auraient menacé d'expulsion, prétendant lui attacher les mains pour l'embarquer de force s'il ne retirait pas sa plainte. Des démarches sans finD'autres témoignages accusent les mêmes personnes. Pire, depuis quelques semaines, une bande masquée agresse dans la rue les jeunes qui ont porté plainte. «Ils disent qu'ils vont me tuer», tremble le jeune troglodyte. Traqué, sans papiers, sans logement, il préfère rester à Melilla que de rentrer chez lui: «Ici, il y a des fontaines publiques, des soupes populaires, et les poubelles sont plus propres et plus fournies», explique-t-il. «Le jour officiel de leur 18 ans, les harraga sous tutelle n'ont jamais reçu de cadeaux. Depuis cet été, un durcissement de la politique locale complique encore leur situation», dénonce José Palazon. On les met désormais à la porte sans papiers, sans carte de séjour. Ce procédé a pourtant été considéré par le Défenseur du peuple (l'ombudsman espagnol) comme «contraire à ce qui est établi dans l'ordonnance juridique». Commence alors un parcours du combattant dans un labyrinthe administratif, auquel s'ajoute les complications pour manger, survivre, s'héberger. De jeunes majeurs qui ont grandi à Melilla vivent dans des cabanes de bric et de broc ou squattent des entrepôts. Alors que, légalement, ils ne disposent que de trois mois pour renouveler leur autorisation de résidence, leurs démarches s'éternisent ne serait-ce que pour obtenir un formulaire. Entre-temps, certains sont expulsés. D'autres, partis chercher au Maroc un passeport ou un certificat, se retrouvent bloqués au retour à la frontière. Même ceux qui bénéficient d'une promesse d'embauche à Melilla sont confrontés à ces types d'obstruction: «Ils ont un papier signé du patron, mais ils veulent maintenant qu'ils aillent en personne à la délégation des finances», enrage un jeune, placé à l'âge de 13 ans, fatigué par sept mois de démarches. Il se dit prêt à déchirer son dossier, puis se reprend: «Les gens de cette ville nous traitent si mal que, si j'obtiens enfin ma carte, je partirai à Barcelone.» DATAS
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Barcelone, un avenir des plus incertains
CÉCILE RAIMBEAU
Quartier du Raval, à Barcelone. Vinçens Galea remonte la rue de l'hôpital quand un groupe d'adolescents lui lance un salut amical en arabe: l'association DRARI qu'il anime les défend bénévolement. En Catalogne, les mineurs étrangers non accompagnés ont peu d'autres portes où frapper tant les décisions sur leur sort sont centralisées par la Direction générale d'attention à l'enfance et l'adolescence (DGAIA). Elle a pris en charge 475 jeunes Marocains en 2007. Une fois qu'ils ont été fichés par la police, après que leur minorité a été confirmée par radiographie, cet organisme les place dans des «centres de premier accueil» où des équipes procèdent au diagnostic de leur situation. En principe, les mesures de protection prévues par le code civil devraient être adoptées automatiquement et ces enfants rapidement dirigés vers des foyers éducatifs. Mais la réalité est autre, comme en témoigne une éducatrice: «Les jeunes passent cinq à six mois dans ces centres d'urgence. On les y maintient dans une grande expectative sur leur avenir. Cette ambiguïté les fragilise et les rend agressifs, d'autant qu'un possible rapatriement est en permanence sous-entendu ou envisagé», affirme-t-elle. L'éducatrice regrette que cet état d'angoisse permanent entrave le travail des équipes éducatives et pousse bon nombre de harraga à fuguer du foyer. Pressions politiquesEn Espagne, depuis la signature d'un accord bilatéral avec le Maroc, le retour au pays des mineurs marocains est examiné comme un droit au regroupement familial pour le bien de l'enfant. Pour l'instant, toutefois, les rapatriements, compliqués à réaliser, sont rarement effectifs: en 2006, 1300 dossiers ont été ouverts dans le pays, pour 111 mineurs effectivement reconduits. Aussi les pressions politiques sur les autorités marocaines se font plus tangibles afin qu'elles facilitent les retours «au bled». Amnesty International a dénoncé des expulsions masquées qui s'effectuent de force, sans avocats. Une étude de l'Unicef2 fait état de «rapatriements sans qu'une explication soit fournie au mineur ou à la famille», «sans que la famille soit avertie». Des rapatriements accompagnés, qui plus est, de violences policières et d'amendes. La Catalogne, qui a lancé le programme dit de prévention de l'émigration Catalogne/Maghreb, a récemment inauguré un foyer pour adolescents à... Tanger. «Comme il est susceptible d'accueillir de jeunes rapatriés de Barcelone ne pouvant être replacés dans leur famille, ce centre est brandi comme une menace», explique l'éducatrice. Du coup, à Barcelone, les jeunes étrangers qui errent dans la rue se sont souvent exclus eux-mêmes du système de protection. Rue de l'Hôpital, Vinçens Galea rencontre un Marocain qui a fugué au Pays basque de peur d'être rapatrié par les autorités catalanes. Comme à Bilbao, l'administration s'est rendu compte qu'il était fiché à Barcelone; elle l'y a renvoyé en bus, sans accompagnement. Le jeune ironise: «Quand je suis retourné au foyer, on m'a demandé pourquoi je suis rentré, pas pourquoi je suis parti!» Orphelin de père, il vivait difficilement avec sa mère dans une campagne pauvre du sud marocain. Sur le formulaire de regroupement familial que la DGAIA lui a demandé de signer, il a apposé cette annotation: «Je ne veux pas rentrer.» «Tu disposes de quinze jours pour contester», explique Vinçens Galea à cet enfant qui doit subir une opération. Mais le convaincre de ne pas repartir sur les routes et de faire confiance à ses droits est difficile. «Marseille, il paraît que c'est mieux.» CRU
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Marseille: l'illusion de la nationalité française
CÉCILE RAIMBEAU
Quartier Noailles, à Marseille. Dissimulant des cigarettes, deux jeunes susurrent aux passants: «Marlboro, 3 euros!» Ici, les harraga sont les mains ouvrières d'un réseau de trafic organisé par les marins des cargos et des ferries accostant dans le port. L'éducateur Malik Koudil les salue en pointant la caméra de vidéosurveillance au-dessus de leurs têtes. Les adolescents haussent les épaules: connus de la police, ils se fichent d'être filmés. En arabe algérien, ils rapportent leurs derniers ennuis avec les autorités: énième contrôle d'identité, garde à vue, radiographie du poignet et de la main gauche... L'un, âgé de 16 ans, est sorti rajeuni de cet examen; l'autre s'est retrouvé plus âgé qu'il ne l'est. «N'importe quoi! s'offusque M. Koudil. Ces enfants ont déjà été signalés. Une ordonnance de placement a été émise pour l'un d'eux, mais ce jeune dort dans un squat en attendant une place. Le pire, c'est que la police les a relâchés sur le pavé.» En France, les enfants «en danger» doivent pourtant être placés dans les structures de l'Aide sociale à l'enfance (l'ASE) du département où ils sont signalés, sur ordonnance du parquet des mineurs ou sur décision du juge des enfants. La protection de l'enfance relève de chaque département depuis la décentralisation, et les Conseils généraux ont toujours réclamé plus de solidarité nationale pour assumer les coûts des prises en charge. Or, la réforme de la protection de l'enfance de mars 2007 leur a transféré encore plus de responsabilités dans la protection des mineurs, alors qu'ils paient la note. Résultat: «Ils sont tentés de réduire les frais», soutient Malik Koudil. Dans la cité phocéenne, l'association où il travaille a repéré de plus en plus d'irrégularités dans le traitement accordé à ces enfants depuis quelques mois. Créé en 1994 à l'aide de subventions, Jeunes Errants accompagne une centaine de ces jeunes par an, retraçant leur identité et leur âge lors d'entretiens basés sur la confiance. L'association ne dispose pas de lits, mais mobilise les institutions afin d'offrir à ces enfants des solutions durables. Au parquet de Marseille, toutefois, la notion de «mineurs en danger» s'est faite relative, surtout pour ceux âgés de plus de 16 ans. «Nous ne pouvons laisser vivre ces jeunes dans l'illusion de quelque chose qu'ils n'auront pas: la nationalité française! Avec les nouvelles lois [Sarkozy], leurs chances de pouvoir rester en France légalement [à la majorité] sont quasi inexistantes», justifie la vice-procureure, Catherine Alexandre. Elle concède: «Il a été décidé par le procureur que l'on procéderait désormais à la vérification de la minorité lorsque nous ne possédons pas de carte d'identité: un acte de naissance peut appartenir à quelqu'un d'autre... L'important est de garder disponibles les places en foyer pour des personnes qui méritent d'y être accueillies légalement, en tenant compte des contingences matérielles.» Au commissariat central de Noailles, la commandante Comtesse corrobore cette politique de fermeté: «Garde à vue et radiographie osseuse sont les nouvelles directives!» Selon l'équipe de Jeunes Errants qui a accompagné de beaux parcours d'intégration et de rares retours volontaires au pays, cette façon de réfréner la prise en charge est un déni de droits. «C'est symptomatique d'un fantasme national: la peur de l'appel d'air! Alors que ce flux migratoire alarmant n'a jamais été massif», déplore la directrice Dominique Lodwick. En dix ans, l'association n'a constaté qu'une augmentation de 10% du nombre de ces enfants suivis par ses services. Chiffre que confirme la directrice départementale de l'ASE, Danièle Perrot: «Chaque année, 100 à 120 jeunes étrangers sont placés dans nos foyers, qui accueillent en tout 3450 enfants. Leur proportion est stable. Le problème, c'est que les foyers pour adolescents sont saturés.» Mme Lodwick est persuadée qu'une soixantaine de places supplémentaires en foyer à Marseille suffirait. Elle prône des formes de prises en charge moins coûteuses et mieux adaptées aux jeunes rétifs déstabilisés par l'expérience de la rue: «Appartements surveillés, placements en famille, parrainages de citoyens...», énumère-t-elle. «En jetant un enfant dans la rue, en fabriquant de jeunes délinquants, de quelles économies parle-t-on?» Dans les locaux de Jeunes Errants, un Tunisien de 17 ans suit une mesure éducative l'après-midi. Abandonné par des parents divorcés, confié à une grand-mère malade, il s'est caché, de nuit, dans le containeur d'un camion au port de Tunis. En deux ans, il a écumé deux foyers marseillais d'où il s'est fait renvoyer pour violence et casse de matériel. Le juge a provisoirement levé son placement. C'est le long de la jetée J4 du vieux port, au pied du Musée des civilisations Europe Méditerranée, qu'il dort sur un carton. Ce symbole des échanges qui ont enrichi les cultures du Maghreb et de l'Europe est pour lui une forteresse qui l'abrite à peine du vent. Pendant qu'il compose un rap anti-Sarkozy face à la Méditerranée, sur l'autre rive, le jeune Marocain qui dort dans une caverne dessine les rêves qui lui sont interdits. CRU